Nombre d'entre vous ne lisent que ce que j'écris, et ne parcourent pas les commentaires... Et pourtant, derrière ce blogue, s'en cache un autre, alimenté par les écrits au combien riches, drôles et perspicaces des habitués... Alors pour vous donner envie de suivre cette vie cachée, je voudrai vous livrer ce soir, le message écrit par Grand Pierre aujourd'hui :
" Bien sûr, organiser un séjour à Quéménès est primordial mais il me semble bien injuste que celles qui contribuent à l‘équilibre économique de cette belle aventure ne puissent s’exprimer en ce magnifique espace d’échange.
J’ai donc souhaité leur donner la parole dans la fiction qui suit … mais cette petite histoire est-elle réellement fictive ? Certains y trouveront sans doute une once de réalité …
Il est parfois dans l’existence des instants qui vous tirent vers des nuées éthérées au loin, sur l’horizon. Et là, dans cette irréalité, de belles images, d’une chaleur sereine, s’imposent en force. Celles d’un océan délaissé en ce début septembre. Il faisait si beau sur cette île endormie aux premières lueurs de l’aurore, celle qu’il avait fallu quitter… celle dont la mince silhouette s’évanouissait entre océan et azur …
Durant cette échappée de l’esprit, l’homme avait extrait du sac sépia quelques pommes de terre. Dans la continuité du geste, il les avait passées sous l’eau fraiche et reposées sur la petite table de bois céramiquée. Se retournant, Il allait se saisir de son laguiole bien effilé, d’un fil régulièrement entretenu, lorsqu’il entendit dans son dos :
- « c’est pas possible, c’est toi Grand Pierre ? »
Il était pourtant seul dans sa petite cuisine dont la porte fenêtre donnait sur ce jardin qu’il partageait avec ses voisins du rez-de chaussée. Peut-être l’un des enfants d’Alice et Julien, ou leur lapin Fifi, ou leur petite chatte noire Circée qui se frotte sans arrêt dans ses jambes … mais non, personne.
- « Bonjour, Grand Pierre ! »
Impossible, il rêvait … Incroyable, deux pommes de terre semblaient le fixer … Il n’en revenait pas. Il n’était pas sans ignorer que celles de Quéménès n’étaient pas ordinaires, mais tout de même…
Face à lui, sur ces carreaux de faience, elles se mettaient à deux pour lui faire la nique :
- « Moi, je me nomme Lisa ! » annonça d’une voix espiègle, mutine et enjouée celle de droite,
- « et moi, c’est Mona » dit celle de gauche, en phonation plus retenue, s’excusant presque …
L’homme prit l’une de ses chaises à l’assise paillée, la rapprocha de la table et s’assit. Posant ses coudes sur la table, il leva ses bras et cala son visage au creux de ses deux paumes. Il fixa les deux patates qui se trouvaient un peu à l’écart du tas, comme si elles se donnaient un statut d’émissaires, et les détailla.
Celle qui se prénommait Lisa présentait une silhouette qui … que … pfff… comment dire ? Eh bien c’est simple : chez une humaine ça donnerait quelque chose comme 85-60-85 ! Sans faire de dessin, vous pigez de suite : si vous êtes une femme vous en rêvez … et si vous êtes un homme … vous en rêvez aussi ! Pour parfaire l’image, imaginez un habit de pelure bistre figurant un bronzage bien maîtrisé …
Mona, quant à elle, présentait un profil … plus classique, à l’instar de celles du tas extrait du sac. Une silhouette un peu tonneau, si vous voyez ce que je veux dire, avec une peau quelque peu ridée par endroits.
Il leur lança :
- « Salut les filles ! mais comment m’avez vous reconnu ?»
Elles n’en revenaient pas, d’aussi loin que remontent les souvenirs de pommes de terre, jamais, au grand jamais, un humain ne les avait écoutées et qui plus est ne leur avait adressé la parole !
Pour une fois qu’on la leur donnait cette parole, elles allaient en profiter !
Lisa répondit :
- « Oh nous étions encore petites quand nous t’apercevions admiratif devant l’alignement de nos fanes en fleurs en ce début juin ensoleillé… Tu restais quelques instants à nous parler parfois, puis tu te rendais, heureux, vers ton petit muret au sud-est de l’île pour t’y asseoir et embrasser cette vue magnifique. » Mona opinait :
- « Oh oui, c’était magnifique, ma Lisa ! »
Et poursuivant son récit, Lisa bonnissait ce que leurs parents leur avaient raconté à propos de leur propre mise en terre :
- « Hercule – le nom du patron de l’île, tellement le peuple des patates l’admirait pour ses muscles et donc sa force, beau comme un dieu dans son vêtement hoalen – assis sur la planteuse, râlait de temps en temps quand il estimait que le tracteur gros John, piloté par la reine « herself » n’allait pas suffisamment droit …, tu te souviens Mona ? »
- « Oh oui, ma Lisa … »
- « Ce qui est bien avec Mona, c ‘est qu’elle n’est pas contrariante … » ajouta Lisa qui reprit,
- « Non, à droite ! Là maintenant redresse ! … La reine opérait ainsi des manœuvres agraires sous la férule d’Hercule, elle tentait parfois de se justifier dans un climat un peu tendu… qui ne durait guère. »
Grand Pierre, écoutant ses deux interlocutrices avec attention, entreprenait de son laguiole effilé un savant travail de découpe de leur pelure … Lisa se retrouva ainsi costumée d’un magnifique maillot deux pièces, avec pour effet de mettre en valeur ses formes rebondies aux bons endroits. Quant à Mona, ses mensurations ne l’autorisaient qu’à porter un maillot une pièce qui masquait ,non sans mal, sa silhouette « tonneau ».
- « Si tu nous a mises en tenue, c’est que tu vas bientôt nous plonger dans l’eau bouillante, Grand Pierre … » interrogea Lisa.
- « N’ayez crainte, les filles, vous avez encore du temps devant vous, poursuivez le récit de votre vie sur l’île … »
Notre amie en bikini reprit la parole :
- « Tu sais, nous vivons à un moment de notre vie une aventure particulière. Je parle du buttage … Hercule passe avec la bineuse affublée d’un soc butteur et parcourt l’ensemble de notre champ. Pour nous ce moment est fabuleux, ça nous fait respirer, ça rend la terre plus meuble à nos côtés, bref on respire, on en est toutes … retournées. En plus, la cerise sur le gâteau, c’est Hercule qui chante à tue-tête un air de sa composition et là … dans ces moments là … on pense au grand Caruso, dans la Traviata de Verdi ! Hein Mona ? »
- « Oh oui ! ma Lisa … j’étais toute chamboulée d’avoir le cul butté ! »
- « Ah ben elle alors ! Elle est pas la dernière pour la gaudriole ! » commenta Lisa qui poursuivit :
- « et puis un beau jour, vers la deuxième quinzaine de juillet, Hercule nous a soumises à l’arrachage avec, derrière gros John, tout un bazar avec un soc qui nous sortait de terre et nous amènenait sur une espèce de vibreur pour nous isoler de la terre, puis nous laisser tomber au sol. C’est bien ça Mona ? »
- « Oh oui ma Lisa ! Comme tu expliques bien ! Moi ce que j’aime c’est quand Hercule il me secoue avec son vibreur ! »
- « Une fois que c’est parti avec Mona, on peut plus la tenir ! Mais revenons à la réalité … parce que on est par nature assez terre à terre ! Bien sûr remplir les ventres c’est notre devoir, notre fonction … mais on a quand même le droit de rêver encore un peu si avec un peu de chance on nous laisse passer la nuit dans le sillon. Et là nous le regardons ce ciel, il est à nous pour quelques heures encore, on y a un peu droit aussi à ces étoiles … avant de nous soumettre en cohorte et terminer sur une mise en sac. Alors, je sais bien, vous vous dites : à quoi bon rêver, on va bientôt passer à le casserole … et là je vous réponds bien sûr, mais soyez tranquilles, on y passe tous, vous y passerez aussi un jour … à votre tour ! »
Grand Pierre était bien ému, il les regarda bien en face et leur sortit :
- « Que ce moment passé en votre compagnie était sublime, beau, aérien, arachnéen. Ce n’est pas parce que vous avez vécu sous terre que vous êtes est inculte ! Et bien sûr vous ne manquez pas de culture, vous avez bénéficié de la plus belle qui soit, celle de ces deux robinsons en Quéménie, David-Hercule et la reine Soizic. Il me semble bien les avoir aperçus à l’orée de votre champ, au soleil couchant avec la princesse Chloé dans leurs bras, donnant une image proche d’un tableau de scène champêtre de Millet ou Courbet.
Alors, pour tout cela, avant de vous donner votre bain, je vais vous faire écouter le deuxième mouvement du concerto pour piano N° 27 de Mozart en si bémol majeur, le dernier que le Maestro ait écrit … »
Sensibles à la baute de cette musique, les yeux des deux patates s’humidifiaient un peu, Lisa reprit la parole :
- « A propos de musique, surveillez le bien, notre chanteur, tu verras, on en est certaines, Mona et moi, qu’un jour, il vous sortira … un tube Hercule ! »
Elle poursuivit, rosissant un tantinet
- « Promets-moi, Grand Pierre de ne pas regarder, quand je serai dans la casserole ! »
- « Bien sûr c’est promis Lisa ! mais pourquoi ?
- « Parce que j’ai peur que sous l’effet de la chaleur, mon maillot si joliment découpé ne tienne pas le coup … et on a beau n’être que des patates, on a quand même droit à un peu de pudeur …
Et elles rajoutèrent en chœur toutes les deux :
- « Tu penseras bien à nous quand on fondera dans ta bouche … »
Ce furent leurs derniers mots ; il y avait de la tendresse et un brin d’érotisme dans cette petite phrase Je savais que je retrouverais ce gout un peu iodé et à peine salé, celui de Quéménès …
Merci les filles !
Mona, Lisa … et Grand Pierre
Écrit par : Grand Pierre | 19.09.2010 "
Et rien que pour vous, j'ai trouvé sur Internénette une photo de Lisa peu avant son bain ; Une star cette Lisa :
Allez, grosses bises à tous et spécialement à Grand Pierre,
Soizic (et Hercule).